Si vous avez été à Santorin, ou que vous rêvez d’y aller, vous avez sûrement été frappé par la beauté de ces maisons blanches accrochées sur la falaise. L’objet de cet article est d’étudier cette architecture typique, de dépasser l’image de carte postale pour mieux la comprendre. Nous allons observer de près les composantes de l’espace bâti pour découvrir ce qui fait de ce lieu un endroit si remarquable.
En comprenant leur territoire, mettant en œuvre des matériaux issus de celui-ci, adaptant les techniques constructives aux contraintes et particularités de l’île, les habitants ont créé une architecture qui révèle la beauté du lieu. Il est rare de voir une telle harmonie entre le bâti et le site. Par un dialogue étroit et humble avec l’île, l’architecture devient indissociable du lieu.
Amateur d’architecture, voyageur curieux, cet article est fait pour vous !
Partie 1
Urbanisme, vivre sur la Caldera
Espaces extérieurs, quand le toit de l’un devient la terrasse d’un autre
Habitations troglodytes, habiter la falaise
Volumes, simplicité et pureté
Percements, ventiler et éclairer
Matériaux, construire avec le volcan
Couleurs, du blanc et du bleu, mais pas seulement
Distribution, organiser ces espaces singuliers
Autres formes architecturales, maisons, moulins et églises
Urbanisme, vivre sur la Caldera
Caldera
L’architecture de Santorin est intimement liée au lieu. Pour la comprendre, il faut commencer par connaître le site. Les habitants de l’île ont su tirer le meilleur de leur territoire pour créer leur habitat. Pourtant au départ, les conditions ne semblaient pas idéales. L’Archipel de Santorin est formé d’îles volcaniques, dont certaines directement nées de l’activité de celui-ci. Le climat est chaud et sec l’été, tandis qu’en hiver l’île est balayée par des vents forts. L’architecture emblématique qui fait l’objet de cet article est implantée sur les hauteurs de la Caldera. La Caldera (ou Caldeira) est un cratère issu d’une éruption volcanique. La Caldera de Santorin est née en 1450 av. J.-C durant laquelle la plus grande partie de l’île s’est effondrée. Les falaises (de 150 à 300 mètres de haut) se dressent donc à l’ouest de l’île et partent en pente douce vers l’est, à l’extérieur de la Caldera.
Implantation urbaine
Qu’est ce qui a poussé les habitants de l’île à bâtir leurs habitations à flanc de falaise ? Voilà la question qu’on pourrait poser devant ce paysage inhabituel. Dans beaucoup d’îles de la Mer Egée, les attaques de pirates étaient fréquentes. Les habitants ont donc dû trouver des stratagèmes pour ne pas devenir des proies faciles. Ils se sont installés dans des vallées cachées, difficiles à repérer depuis la mer, ou sur les falaises. En plus d’être difficile d’accès, cette position leur permettaient de voir venir d’éventuelles attaques.
Cette pénurie de terres sûres a une deuxième conséquence : la création de villes denses. La densité de population est renforcée par la croissance démographique. Elle est également favorisée par l’esprit communautaire de ces sociétés. Aujourd’hui l’urbanisation s’étend sur la falaise, du haut vers le bas. En bas de ces falaises, on trouve plusieurs ports qui semblent être accessibles que depuis la mer. En regardant bien, nous pouvons voir des chemins d’accès sculptés dans la falaise.
Si on s’intéresse plus précisément à la ville d’Oia (vous pouvez voir une carte de l’île ici), on s’aperçoit que l’implantation spatiale des populations correspond à une stricte hiérarchie. La ville était composée d’une population qui vivait des métiers de la mer. Les équipages des navires résidaient sur la falaise, dans des espaces exigus creusés dans la roche. Alors que les maisons des capitaines disposaient de plus grands espaces sur des surfaces planes dans les hauteurs d’Oia. Ces terrains permettaient aux habitations d’être plus vastes, mieux éclairées et plus confortables. Ces deux populations restaient à bonne distance du village de Finika, à l’Est d’Oia, occupé par des agriculteurs.
Rues étroites et murs hauts
Les rues étroites sont une autre caractéristique de ces villes. Elles sont souvent sinueuses, serpentant sur la falaise, en pente et parfois constituées d’une succession d’escaliers. L’étroitesse des rues permet de créer de l’ombre et de se protéger du vent.
Les maisons sont blanchies à la chaux au printemps pour réduire l’absorption solaire des murs et éviter la surchauffe des espaces intérieurs. Ce dispositif a un inconvénient : la lumière se réfléchie sur ces surfaces et peut éblouir. Les espaces extérieurs deviennent également vite inconfortables avec la chaleur de l’été, d’autant plus que circuler quotidiennement dans ces espaces nécessite une bonne condition physique. Par fortes chaleurs les murs restent chauds. Même la nuit le rayonnement solaire est important à Santorin. Ce dispositif de rues étroites permet donc de créer de l’ombre et de rendre l’utilisation des espaces publics plus confortable.
L’été, seul un vent de nord peut rafraichir ces espaces. Mais ces mêmes vents peuvent aussi devenir très contraignants, surtout l’hiver. Les villes sur la Caldera sont très exposées aux vents qui balayent la Mer Egée. Seules quelques vallées dans les terres sont protégées. Les constructions coûteuses en bois pour se protéger du soleil, comme les pergolas, résistent mal à ces intempéries. De grands murs sont alors construits. La vue est sacrifiée pour se protéger des rafales. La proximité des bâtiments, les rues étroites, et les grands murs protègent ainsi les habitants. Ces agencements sont primordiaux pour la vie en plein air et pour circuler facilement dans les rues.
Espaces extérieurs, quand le toit de l’un devient la terrasse de l’autre
La morphologie urbaine, l’architecture, naissent des conditions particulières de l’île. Avant de rentrer dans les maisons, regardons les espaces extérieurs. A Santorin, la limite entre espace privé et espace public est floue. Si bien qu’en se baladant dans les rues, on peut parfois se demander si nous ne sommes pas chez quelqu’un. Les toits de certains semblent être des places publiques, les rues se prolongent quelquefois jusqu’à devenir des espaces privés. Nous qui sommes habitués à des limites franches et à des espaces très codifiés, nous pouvons dans un premier temps manquer de repères. De plus, les espaces privés sont assez similaires à l’espace public. Et même les espaces privés semblent s’entremêler, se superposer. Impossible de savoir où une propriété commence et où elle finit.
Une disposition urbaine verticale a été développée en raison du terrain escarpé de la Caldera. Le toit d’une maison est souvent la terrasse d’une autre, ou le sol d’une rue par exemple. Un système de propriété inhabituel a dû être adopté. Une telle structure urbaine nécessite une coopération étroite entre habitants. La construction ou l’extension d’une maison, l’évacuation des eaux usées, le traitement des eaux de pluie, l’accès aux propriétés, exigent entente et collaboration entre voisins. Tous ces escaliers, (aux marches de taille différente et aux formes variées), ces rues sinueuses, découlent de cette forme urbaine. Si on est bien attentif, un indice nous renseigne sur le type d’espace que nous parcourons. Dans les espaces privés, les marches sont entièrement grises, dans les espaces publics les marches sont grises entourées de blanc.
Dans ces espaces extérieurs, qu’ils soient publics ou privés, on remarque quelques invariants qui rendent ces espaces si reconnaissables. Je vous laisse les découvrir avec les croquis succins ci-dessous.
Tout d’abord, il y a ces rues escarpées et ces marches grises et blanches. Puis on découvre les entrées des propriétés. Souvent des portes en bois entourées d’une maçonnerie blanche ou des petits portillons. Ensuite, on peut découvrir des terrasses (souvent en escalier) qui s’entremêlent et qui viennent s’adapter au terrain en pente. Elles sont parfois accompagnées de murs hauts qui viennent délimiter l’ensemble, soutenir la falaise et créer de l’ombre. Il y a aussi des petits murets blancs épais, à la hauteur variable, qui semblent avoir été sculptés. Ils viennent créer des sous-espaces, protéger des terrasses… Puis, on voit les entrées des maisons, les Yposkafas. Parfois, il s’agit juste d’un mur façade qui vient fermer l’habitation creusée dans la grotte. D’autres fois, des volumes entiers ressortent de la falaise et viennent la prolonger. Pour finir, on peut ajouter quelques points d’eau : piscine, jacuzzi. Ces ajouts sont relativement récents et se sont développés avec le tourisme. On peut observer des piscines incroyables qui débutent sur les terrasses et viennent se prolonger à l’intérieur des habitations. La ville suit les lignes de la Caldeira, les maisons regardent l’Ouest et le Sud, tandis que leur disposition signifie que la terrasse d’une maison est le toit d’une autre. Ces croquis n’ont pas été dessinés à partir de maisons existantes, ils sont purement imaginaires. Il s’agit de montrer qu’avec quelques éléments forts et récurrents on peut réussir à recomposer ces espaces singuliers.
Habitations troglodytes, habiter la falaise
Quand on lance un regard superficiel sur les villes de la Caldera, on voit pleins de petits volumes blancs comme accrochés à la falaise. Mais si on observe de plus près, ces volumes ont souvent des racines profondes dans la terre. La déclivité du terrain et la nature du sol ont poussé les habitants à construire leur habitat dans la falaise. À ces raisons, s’ajoute la nécessité de faire des économies (aussi bien en terme de matériaux que de transport). Les habitants de l’île ont donc créé des cavités profondes, où se succèdent plusieurs pièces.
Ce type de maisons a un nom : Yposkafa. Ces maisons peuvent être de plusieurs types : soit une habitation entièrement creusée dans la roche volcanique, soit une habitation creusée dans la roche avec des ajouts extérieurs. Une maison typique est profonde, tout en longueur avec une façade étroite. Les volumes extérieurs sont couverts par des toitures plates de toutes formes ou par des dômes de différentes tailles. Ainsi certaines maisons sont creusées profondément dans la roche et d’autres s’équilibrent au bord de la Caldera. La majeure partie des Yposkafa est implantée sur la Caldera (Oia, Imerovigli, Fira), mais il y a aussi des exemples dans des villes plus à l’intérieur de l’île ou d’anciens villages fortifiés comme Emporio, Pyrgos, et Akrotiri.
La nature est l’architecte en chef de ces villes. A plusieurs égards on peut dire que ces maisons suivent la notion contemporaine de conception bioclimatique. Les volumes, les ouvertures, les matériaux, sont pensés pour améliorer le confort thermique. Nous le découvrirons au fur et à mesure de la progression de l’article. Les habitants se protègent du soleil en enterrant une partie de leur habitat. Les parois épaisses en pierre permettent aux maisons d’être thermiquement performantes, fraiches en été, chaudes en hiver. Par une conception juste et intelligente, appuyée par une analyse fine du territoire, les habitants de Santorin ont imaginé une architecture unique qui répond au mieux à leurs besoins et aux contraintes du territoire.
Volumes, simplicité et pureté
Formes simples
Voilà ce qui provoque l’admiration des voyageurs du monde entier : des formes simples, des volumes épurés, conçus en parfaite harmonie avec le lieu. Le paysage participe à la beauté de l’architecture et l’architecture participe à la beauté du paysage. La réciproque est rare. Bien trop souvent les villes sont conçues en ne prêtant que très peu attention au territoire qui les accueille. Au lieu de le sublimer, de révéler ses qualités, elle le déprécie. Ou pire, elle le défigure.
Santorin va à l’encontre d’une idée reçue : celle qui dit que pour bien s’intégrer dans un site l’architecture doit se faire discrète, voir invisible. La forme de la ville est affirmée sur l’île, l’architecture est bien visible. Beaucoup d’architectures s’implantent sans essayer de comprendre qu’elles sont les spécificités du territoire, c’est là qu’est le problème. Pas besoin d’être discrète, il suffit de nouer un dialogue étroit au moyen d’un langage commun avec le lieu. A Santorin, la ville apporte une réponse spatiale aux forces et aux contraintes de l’île.
Au delà du rapport unique que le bâti entretient avec le lieu, on peut admirer la qualité de l’architecture produite. La ville est constituée de volumes blancs, aux formes pures, dépourvus d’ornement. Il s’agit des grands préceptes de l’architecture moderne. L’architecture produite à Santorin est prodigieusement contemporaine, bien avant l’heure. C’est la modernité de ces volumes qui s’insèrent pourtant parfaitement dans le paysage qui peut déconcerter certains visiteurs. L’architecture ne s’encombre pas de décoration inutile. La beauté réside dans la continuité des matériaux, le traitement de la lumière, la qualité des ouvertures, la simplicité des formes, la justesse des proportions. Ce travail donne un aspect sculptural à l’architecture. La ville semble avoir été façonnée dans la falaise. Les maisons, les rues, les escaliers ont été sculptés à partir du plein de la roche. Cette sensation est encore renforcée par l’épaisseur des parois et la continuité entre le sol et les murs.
Toit voute
Un des éléments remarquables est l’utilisation de dômes et de voûtes, de toutes les formes et de toutes les tailles. Les habitants ont développé une architecture basée sur la force de compression de la pierre. Le moyen le plus simple pour franchir des espaces avec la pierre est l’utilisation de voutes minces et de murs épais. Ce dispositif permet de résister aux forces de compression. Ce mode de construction, facile à mettre en œuvre, est très répandu à Santorin même à petite échelle. Les volumes qui viennent dans le prolongement de la grotte sont souvent couverts de voûtes ou de voûtes croisées. On retrouve un peu partout sur l’île des maisons aux toits voutés dans les grottes et des dômes qui viennent couronner les volumes extérieurs.
La résistance sismique est une des caractéristiques des bâtiments à Santorin. Le volcan provoque des tremblements de terre fréquents. L’île porte encore les traces de celui de 1956. Ces règles ont dicté la géométrie globale des bâtiments : Parois épaisses, voûtes minces, ouvertures étroites, contreforts… Le mode de construction adopté engendre un certain type de formes.
Toits plats
Les toits en voutes et les dômes étaient la volumétrie la plus rependue sur l’île. Cependant, l’eau est rare à Santorin et elle provenait autrefois presque uniquement des eaux de pluie. La récupération des eaux pluviales est donc un enjeu majeur. Tous les bâtiments, (églises, maisons, fermes…) avaient des dispositifs pour récupérer l’eau. La disposition et les formes des bâtiments étaient conçues pour la faire circuler et la récupérer. Elle était ensuite stockée dans des citernes et désinfectée.
Avec la création de toits terrasses, ces eaux ont pu être récupérées plus facilement. De plus, les fines voûtes des dômes offrent peu de protection contre la chaleur et favorisent les déperditions thermiques la nuit. Les habitants ont donc recouvert les voûtes de pierre volcanique pour isoler les toits : la pierre ponce. La pierre était enfermée dans un parapet. Ce procédé a eu comme effet de transformer petit à petit les dômes en toits terrasses. Les toits terrasses sont devenus un signe de richesse. La forme des toits en voûte était plus commune et moins coûteuse.
Les photos sont superbes et vos explications nous font aimer l’architecture.
Nous attendons la suite…
La suite arrive bientôt! Merci pour votre commentaire!
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Bonjour, votre article est très intéressant et riche d’informations, les croquis sont très parlants. Je suis architecte et j’écris aussi sur l’architecture et paysage de l’ile après mon voyage, mais en ma langue maternelle (Vietnamien), pourrais-je présenter vos croquis (en citant votre nom et link, bien sur) ? si cela ne vous dérange pas? j’ai fait aussi quelques croquis du paysage de Santorini. Je vous remercie beaucoup. To Uyen
Bonjour,
Nous sommes ravis de votre intérêt pour cette article et vous pouvez bien entendu présenter les croquis en reprenant les références 🙂
Bonne journée !